La triste nouvelle m'est communiquée par son frère Laurent, motard lui aussi et adepte des Millevaches … Donc l'occasion de se croiser au moins une fois par an sur le plateau du même nom (je n'ai pas beaucoup de temps disponible dans ces moments-là).
Malgré des prévisions météo peu engageantes, je tiens à être présent en ces moments de douleur, marquer mon amitié avec cette famille …
Jacky Godefroy est parti à 49ans, laissant une Florence éplorée avec leurs deux jeunes enfants.
De quoi décupler la tristesse et la rage.
Comme je dois être un peu maso, je décide de faire rouler la bécane de Laurence, la "petite" 500 Honda. 1500 bornes en quelques jours vont lui faire du bien.
Et cela devrait rajeunir son pilote qui se retrouve sans les acquis modernes, et en premier lieu les poignées chauffantes … Une forme de retour aux sources.
Après quelques dizaines de kilomètres sous la flotte, les averses s'espacent mais le froid s'intensifie d'autant plus qu'il n'est pas possible de se réchauffer dans un lieu douillet fournissant un bon café fumant.
Il faut donc rouler … ou s'arrêter dans des lieux froids et humides pour satisfaire ses besoins naturels, engloutir un sandwich, ingurgiter une rasade de café stocké dans un thermos ou fumer une cigarette (pas tout en même temps bien sûr !).
La 2X2 voies à la chaussée séchante, au moins par endroits, libère suffisamment mon esprit pour revivre tous ces bons moments avec Jacky …
Cette première rencontre il y a une vingtaine d'années sur le camping du houx lors des 24 heures du Mans. Jacky est là avec son frère Laurent et une jeune et joyeuse bande de Solognots. Avec ma fille Céline et l'ami Serge, nous nous installons à proximité et l'alchimie prend immédiatement.
Un week-end mémorable dont le paroxysme est probablement le moment où Laurent tente de nous réveiller à coup de rupteurs …
Peine perdue. Avec Serge, nous avions ingurgité de quoi dormir correctement avant la longue route du retour vers Montélimar.
La médication chimique était efficace !
Au cours des années suivantes, nous nous rencontrons d'autant plus régulièrement que nous venons souvent, avec Serge, retrouver notre ami Louis résidant dans le même secteur.
C'est l'occasion de nombreux et savoureux repas concoctés par Florence ou de "grandes bouffes" (et de sérieux délires) avec toute la bande se retrouvant chez Louis.
Les vies de chacun évoluent mais ces rencontres perdurent.
Nous voyons arriver le premier bébé, Clément suivi plus tard d'un petit Louis.
Nous découvrons leurs évolutions par épisodes, au cours de pique-niques, de balades, d'apprentissage du vélo, de rencontres familiales, voire de matchs de foot, d'abord du Papa, puis des enfants qui n'arrêtent pas de grandir.
A titre personnel, outre la moto bien sûr, je partage un autre centre d'intérêt avec Jacky.
Il est Pompier volontaire alors que j'ai longtemps œuvré en tant que bénévole secouriste à la Protection Civile puis agi lors des créations des SAMU de Versailles et d'Annecy.
Souvent nos discussions portent sur les opérations de secours et nous partageons nos expériences.
A l'approche de Blois, mon esprit cesse ses divagations mélancoliques. La pluie refait son apparition et je commence à être sérieusement frigorifié. Heureusement, 80 kilomètres plus loin j'arrive à mon hôtel à Vierzon… avec quelques dizaines de minutes d'avance sur le couvre-feu.
Le lundi 8 février au matin, je rejoins Salbris, point de rendez-vous fixé par Michel Desbois, président du MC RazorBikes Salbrisiens. L'occasion de retrouver un des membres de la bande originelle du Mans, mais aussi des participants de l'hivernale Les Millevaches !
A 11h30, le groupe d'une vingtaine de motos prend la direction de Lamotte-Beuvron afin de rejoindre la chambre funéraire puis assurer l'escorte d'hommage du dernier voyage de Jacky.
Le convoi prend alors la route vers le crématorium de Theillais, la moitié des motos ouvrant la route et l'autre moitié suivant le corbillard.
L'émotion est encore contenue par les contraintes de la route et de cette évolution en convoi ordonné …
Vidéo du passage dans sa commune, Nouan le Fuzelier, visible sur Facebook
La haie de motos se forme derrière celle constituée par la trentaine de sapeurs, sous-officiers et officiers entourant le drapeau. La gorge se serre lors du passage du cercueil suivi d'une famille dévastée dont je connais bien des membres. Dur dur !
La cérémonie est émouvante, l'importante foule présente donne la dimension de l'engagement de Jacky et de cette famille dans la vie locale, la majorité restant à l'extérieur, faute de place dans la salle.
Puis vient le moment du dernier adieu et je craque.
Un salut à l'ami Jacky, un coup d'œil compatissant vers Florence et ses enfants, un fugace geste de réconfort vers Laurent et je me dirige vers le registre que j'ai bien du mal à voir à travers les yeux embués.
Les quelques mots apposés, bien dérisoires, doivent être tremblotants, voire illisibles …
Ensuite, il est temps de repartir. Environ 3 heures de route et la contrainte du couvre-feu.
Je remercie encore Michel de son accueil et de son implication, salue rapidement les motards présents et m'engage dans la suite de ce périple, la rage au ventre.
La rage de se sentir si impuissant devant de tels malheurs, la rage de ne pas pouvoir soulager un tant soit peu le fardeau qui accable des êtres appréciés, la rage de se trouver désemparé devant des situations m'apparaissant si injustes et pourtant naturelles et inéluctables …
Cette rage m'aide à combattre le froid intensifié par la vitesse sur l'autoroute, vecteur routier rendu impératif pour respecter les contraintes horaires et rejoindre les portes du Vexin.
Aux alentours de Rambouillet, quelques flocons volètent et par moment, les bas-côtés blanchissent légèrement.
Mais me voici arrivé chez mon frère, un "détour" programmé qui offre bien des avantages :
- Se retrouver après une année émaillée de confinements ;
- Respecter confortablement le couvre-feu ;
- Livrer quelques douceurs dont mes dernières élucubrations sucrées (confitures, pâtes de fruits et nougat).
Dès mon arrivée, mon frère Laurent semble taquin et m'apostrophe :
- Tu comptes vraiment repartir mercredi ?
Et je rétorque :
- Oui, cela semble être la meilleure fenêtre météo !
Mais c'était mon analyse de dimanche avant de partir et je constate le lendemain matin que les prévisions ont effectivement bien évolué …
La moto restera donc sagement 48 heures de plus sur place, sous la neige et sur la glace !
Le vendredi, j'évalue un départ possible, mais il faut que j'attende le milieu de matinée pour limiter les risques des axes secondaires encore encombrés de bien des zones glissantes. Et il ne faudra pas trainer pour arriver suffisamment tôt dans les Côtes d'Armor … en alerte orange neige et verglas, quitte à se trouver un hôtel en route si les conditions s'avèrent trop précaires.
A partir d'Avranches, la neige est omniprésente mais la chaussée bien que de plus en plus mouillée est bien dégagée. La fin du parcours sur la RN 12 devient inquiétante. Les saleuses sont en action et les arbres sont superbes … enserrés dans des gangues de glace. Un camion en situation délicate (à contresens, remorque posée sur un champ et cabine plongeant dans un fossé) est en cours de dégagement. Autant de signes qui m'inquiètent pour les derniers kilomètres.
Néanmoins, calmement et les deux bottes au sol, j'arrive sans encombre, d'autant que Laurence avait complétement dégagé la route devant le portail, ainsi que l'allée.
Elle devait craindre pour sa moto (mode boutade bien sûr) !
Douillettement posé au chaud, je revis tous ces moments en les évoquant avec Laurence, la voix parfois chevrotante …
Je souhaite vraiment que tu sois parti en paix Jacky, tu le mérites grandement …
Quant à ta compagne, tes enfants, ton frère (Laurent, celui que je connais), tes parents,
j'espère qu'ils sauront qu'en cas de besoin, nous serons toujours là …
Et merci à Laurent pour la communication de ces photos !